La sortie de la brindille (extraits)
... Je suis à présent
maintenue dans les airs, gigotant au-dessus du vide et coincée
par mon abdomen. C'est la seule partie encore engoncée
dans ce canal. Engoncée est le mot juste. C'est comme
si quelqu'un me retenait par l'arrière-train dans cette
branchette. Impossible de me dégager...
mais comment ont-ils fait, les autres ? Tout en râlant
et en me contorsionnant, d'un seul coup, je suis éjectée
dans l'air. Est-ce Virginie qui... je ne le saurais jamais et
peu m'importe.
Tel le pilote sautant de son avion en difficulté, je
tombe. La chute est brève et inattendue ! Avant d'avoir
pu toucher le sol, je sens une secousse suivie d'un balancement
qui me fait tournoyer à l'image du parachutiste pris
dans les arbres, ou mieux encore, comme une petite araignée
qui s'arrêterait brusquement sur son fil... un fil trop
court !
Bientôt le mouvement cesse. Je reste ainsi, accrochée
à ma bretelle, suspendue en l'air... ridicule !
Moi qui partais à la conquête du monde, me voici
retenue à mon cordon, comme un vulgaire pendule à
la merci des caprices du vent. Remonter m’est impossible
et de toutes façons cela ne me servirait à rien.
Je ne peux ni ne veux revenir en arrière. Descendre ?
je l'aurais bien voulu, mais comment ? lorsque vous êtes
suspendue par l'arrière-train à une ficelle...
parce qu'en plus, je suis accrochée la tête en
bas. Je ne puis que me rendre à cette évidence
idiote : le fil est trop court... c'est insensé !
Mais rien à faire, j'ai beau me démener et gesticuler,
sans aucun effet. Le câble arrimé à la partie
arrière de ma cuticule – dans laquelle je semble
vissée – est trop solide. Tel un singe, pendu au
bout de sa longue queue coincée dans une branche, je
regarde avec envie le sol.
« J'aimerai tant essayer mes pattes ! »
Pendant que je me contorsionne dans tous les sens, un choc me
fait tournoyer dans les airs comme une toupie. C'est Carlos
qui poussé par le vent me percute violemment alors que
j'étais entièrement absorbée à rouspéter
contre cette mauvaise blague. Il me lance un tonitruant «
bonjour » en passant. Il ne semble nullement inquiété
par son cordon, ni par quoi que ce soit d'autre du reste. Ça
l’amuse de se laisser ballotter ainsi. Peu de temps après,
Virginie arrive de la même façon... sur sa balançoire.
Et puis les autres viennent également. Ils sont tous
là, ces minuscules insectes blancs, accrochés
à leurs lianes comme au manège de la foire d'automne
!
« Ouf ! je me sens rassurée. »
Je ne suis pas la seule. Etre pendue de la sorte n'a sans doute
rien d'accidentel puisque les autres sont accrochés de
la même manière. Ce doit être prévu
par la nature.
C'est en effet de cette
façon que les futures cigales raffermissent leurs petits
corps, doux et fragiles, avant le rude choc avec le sol aride.
Leur peau fine et délicate se raffermira au contact de
l'air, et quand le moment sera venu, le lien se brisera. Elles
apprécieront alors d'avoir la peau un peu durcie, quand
viendra le moment d'affronter et de creuser la terre... rocailleuse
et acérée !
Comme quoi, l'emballage et le déballage des bébés
cigales demeure une science très complexe !
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