Concert gratuit des cigales dans toute la Provence, tous les jours à partir de fin juin à début septembre
         
 
 
 
 


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Le chant des cigales (extraits)

... Nishi t'aimais bien tu sais, elle m'a beaucoup parlée de toi ! lui dis-je.
– Ah bon ? et que t'a-t-elle racontée sur moi ?
– Elle m'a dit que tu es un érudit en entomologie ; particulièrement pour expliquer le fonctionnement du chant des cigales. Il parait que tu es incollable sur le sujet.
– Elle exagère toujours tout ! me répond-il en riant. Il est vrai que je sais des tas de choses... de là à être un érudit ! Le chant des cigales – tu le sais maintenant – est exclusivement produit par le mâle pour se faire remarquer des femelles... et malheureusement aussi des prédateurs !
Donc tu sais comment fonctionne le mécanisme de notre chant ?
– Heu ! à vrai dire, non ! Nishi n'a pas eu le temps de me l'expliquer ! Elle était trop pressée de vous rejoindre. Tout ce que je sais, c'est que le mâle possède deux grandes écailles sous le ventre... comme les poissons !
Il éclate de rire en entendant cela, puis ajoute :
– C'est exact, mais ce ne sont pas vraiment des écailles ! Ce sont des étouffoirs. Ils ne font pas de musique, mais servent seulement à étouffer le son, en s'ouvrant et en se fermant plus ou moins. On les appelle aussi volets parce qu'ils s'entrouvrent, tu saisis ?
– Mais alors ! où donc est l'appareil qui produit le son ?
– Observe-moi bien Fanny ! Juste derrière la naissance de mes ailes, tu apercevras mes cymbales. Ce sont elles, et elles seules, qui produisent la musique, regarde !
Délicatement Bonavi soulève légèrement l’une de ses ailes, pour me montrer sa cymbale sur son flanc droit.
– Je ne vois rien de spécial ! lui dis-je, déçue.
– C'est normal, tu as raison ! C’est difficile à voir. Sous mes petites ailes, tu verras une sorte de petit cache noir, tu le vois ? Il est inexistant chez toi, regarde bien, tu verras la différence.
Effectivement, j'ai beau m'ausculter dans tous les sens, je ne possède pas ce fameux petit cache que j'aperçois chez lui.
– Derrière ce cache, qui est en réalité une protection, se dissimule une de mes cymbales, le fameux instrument de musique ! Nous en possédons deux, une de chaque côté. Elles sont logées exactement derrière chaque aile, à l'intérieur du corps et bien dis-simulées. Je dois avouer qu'elles ne sont pas faciles à trouver!
– Oui mais... en quoi consiste cette cymbale ?
– Bonne question ! répond Bonavi. C'est une sorte de plaque de cuticule parcheminée, relativement rigide et convexe. Il suffit de tirer dessus assez fort, pour qu’elle se déforme brutalement et devienne subitement concave.
En appuyant du doigt sur le fond bombé d’une boîte de conserve ou en redressant les bosses de certaines bouteilles vides en plastiques, on peut obtenir un son à peu près similaire.
Quand on appuie dessus, elles font tac ! quand on relâche la pression, elles font toinnng !
– Oui, je connais bien ! C’est comme mon criquet que j'ai gagné à la foire ! lui dis-je tout excitée. Pas l'animal non, mais un jouet. Un petit objet métallique pour amuser les enfants et faire hurler les parents. C'est moi-même qui l'ai gagné l'année dernière à la fête foraine du village. Pour le décrocher, il fallait tirer sur des pipes de plâtre qui tournaient lentement. Les lots étaient nombreux. Mais je ne m’intéressais ni aux petites autos de pompier, ni aux photos des filles nues tournant sur le fond du stand. Ce que je convoitais, c’était le criquet. J’avais droit à trois cartouches. Comme j’avais raté les deux premières, il a bien fallu que je m’applique pour la dernière. Je me suis alors bien appuyée sur le stand pour ne pas faire trembler le fusil et... Pan ! la troisième fut la bonne. J’ai eu mon criquet. Papa était fier de moi.
Ce jouet n'a rien d'extraordinaire, ce n'est qu'une lame d'acier relativement rigide, environ de trois à quatre centimètres de long sur deux de large, légèrement convexe et sertie dans une coque en tôle verte. Quand j’appuie sur la lame d’acier elle fait clic ! et quand je la relâche elle fait clac ! Un clic ! et un clac ! qui claquent comme une paire de claques... particulièrement quand ils sévissent près des oreilles. C’est ma télécommande pour faire crier maman ! suffit d’appuyer...
– C'est exactement ce même mécanisme qui produit notre chant ! tranche Bonavi enthousiaste. Donc, aidé de mes muscles, chaque fois que je tire sur ma cymbale, elle devient concave en faisant toinnng ! et quand je la relâche, elle se remet au repos en faisant tac ! Tac-Toinnng ! tu comprends Fanny ?
– Oui... j'ai pigé... mais... certaines choses m'échappent ! Par exemple, quand tu chantes Las nubes, je n'entends pas Tac-Toinnng ! ou alors je n'y entends plus rien du tout, non ?
Il sourit et se tourne légèrement sur la branche pour de me répondre.
– Attend Fanny... attend la suite de mon explication ! Imagine maintenant que je tire plusieurs fois de suite dessus, et tu auras une idée plus claire du mécanisme, écoute :
Tac-Toinnng ! Tac-Toinnng ! Tac-Toinnng ! Tac-Toinnng ! Tac-Toinnng ! Tac-Toinnng ! Tac-Toinnng !
répété entre cinquante et cinq cents fois par secondes. Imagine la fréquence ?
La musique à cette vitesse ne sera plus perçue comme Tac-Toinnng ! Tac-Toinnng ! mais plutôt comme ceci, écoute bien :
Trrt, rrt trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt, trrt, rrt,
tant ça ira vite ! Ensuite avec l'inclinaison et le rythme de mon abdomen ; l'ouverture plus ou moins rapide de mes étouffoirs ; la position de mes ailes ; la température extérieure ; la fréquence choisie par seconde ; l'émotion qui m'étreint à ce moment là et bien d'autres choses encore, je modifie ce Trrt, rrt pour chanter cette jolie chanson que tu aimes si bien : Las nubes. Tu comprends ? Par ailleurs mes cymbales ne ressemblent pas seulement à de bêtes boites de conserves bombées. Elles sont renforcées de plusieurs plaquettes et de côtes, ce qui ajoute à la complexité du timbre.
J’acquiesce de la tête. Bonavi continue de plus belle :
– Notre cymbale est en quelque sorte identique au larynx des humains que tu vois se promener sur l’île ; une sorte de muscle situé sur le trajet de la zone respiratoire. Prends un chanteur de charme. Sa voix est douce, puisqu'il la travaille et l’exerce souvent. Imagine maintenant une enclume de forgeron tombant sur les doigts de pieds de ce même chanteur. Tu entendras le son brut de décoffrage, le Tac-Toinnng ! originel d’un humain. Ce même cri, modulé différemment pourra pourtant te donner une jolie chanson douce, selon la façon dont il modifiera ses cordes vocales, la poussée de l'air sortant de ses poumons, la position de sa langue, que sais-je encore... et bien entendu la position du doigt de pied par rapport à l’enclume ! conclut-il en riant. Tu saisis maintenant ? me demande-t-il.
– Ravie, je lui indique, par un signe de la tête, que j'ai bien compris. Je n’arrive pas à placer un mot, tant Bonavi est parti dans ses explications.
– Derrière chaque étouffoir ou volet, est dissimulé la caisse de résonance appelée chapelle. Je résume :
le son est produit par la cymbale, se fait amplifier dans la chapelle et sort entre les étouffoirs, c'est tout simple. Je peux ouvrir ou fermer ces volets à ma guise, regarde.
Effectivement ! En réalité, ces volets – qui font partie du squelette – ne bougent pas. Ils restent fixes. C'est son abdomen qui se lève et s'abaisse sur eux, laissant passer plus ou moins le son des cymbales. Comme pour confirmer ma pensée, il se met à chanter, et son abdomen vibre à toute vitesse, si vite que j'ai l'impression de le voir flou.
– ... et une autre particularité, également propre aux mâles, que tu ignores sans doute ! s'exclame Bonavi en arrêtant son chant. Vous les femelles, vous avez le ventre plein, tandis que le nôtre est totalement vide, me dit-il, observe ! Toute la partie arrière d'une cigale mâle est creuse. Vide comme l'intérieur d'une guitare... pour mieux servir de caisse de résonance ! Tous les organes sont compressés dans un ridicule petit coin de l'abdomen, comme si cela n’avait pas d'importance vitale. Le chant en revanche, oui ! La musique, ça c’est important ! Que serait un excellent transit alimentaire, une parfaite santé s’il n’y avait pas le plaisir de vivre, de rencontrer des congénères, de se faire des amis, d’être amoureux, de jouer ou d’écouter de la musique ?
Il me montre son ventre à contre jour, et je dois avouer qu’il est effectivement vide et translucide, tel un cornet de parchemin. C’est vraiment incroyable !

– J'ai encore une toute petite question à te poser ? Nishi m'a dit que les jours de vent ou de mauvais temps, les cigales ne chantent pas, est-ce vrai ?
– Absolument ! affirme-t-il. En fait, c’est une question de chaleur, et non une question d'humeur, vois-tu ! En dessous de vingt-deux degrés, mes cymbales perdent leur souplesse. Elles ne veulent plus rien savoir et sont comme bloquées. J'ai beau tirer sur mes muscles dans tous les sens, aucun son n'en sort. Mais aujourd'hui il fait beau, me dit-il, avec un sourire malicieux, et j'ai une envie folle de chanter. As-tu envie d'entendre un air particulier ?