Concert gratuit des cigales dans toute la Provence, tous les jours à partir de fin juin à début septembre
         
 
 
 
 


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La ponte (extrait)

« Tu verras, quand les journées se raccourciront, vers la fin de l’été, il faudra que tu te cherches un endroit pour y pondre tes œufs en toute sécurité. Ton bas-ventre commencera à devenir douloureux et à durcir... ce sera le signal. Il faudra absolument que tu te soulages de cette tension... et bien entendu pour per-pétuer notre jolie race, Fanny, à toi et à moi ! Ce sera hélas aussi le moment de te préparer à mourir. Aucune cigale, mâle ou femelle, ne subsistera durant l’hiver, aucune !
– Ce sont exactement les symptômes décrits par Bonavi. Il faut absolument que je ponde !

Il est vrai que nous mourrons toutes avant la froide saison, tout le monde le sait. Personne n'a jamais vu ni entendu une cigale après la mi-septembre...
Elles vivent de trois à quatre semaines dans le meilleur des cas, et puis après, adieu la belle saison, elles tombent de l'arbre... et s’éteignent !
Elles meurent seules, sans personne à leur enterrement ! Bien souvent, une famille de fourmis dévouée, assiste les derniers moments de la moribonde tombée à terre, en l'aidant, à l’aide de couteaux et de fourchettes – en guise de crucifix – à passer plus rapidement de l'autre côté.

...mais avant de mourir, il va falloir que je me cherche un endroit pour y déposer mes œufs, c’est capital pour ma descendance.
Il me faut trouver un lieu au calme. C'est très important, car je vais y passer plus d'une journée. Pondre quelque trois à quatre cents œufs est un travail de longue haleine. Je ne le ferai qu'une seule fois dans ma vie. Je vais donc m'envoler à la recherche de l'endroit idéal.
Un endroit idéal, comme vous le savez déjà, est le plus souvent la tige d'une plante ; une branchette morte ; un mûrier ; un asphodèle desséché par le soleil ; des végétaux de toutes sortes, mais chose importante : il faut que les rameaux soient plus ou moins proches de la verticale, confort de pondeuse oblige, et bien entendu... tranquille. Les brindilles en tous genres se révèlent êtres des maternités idéales pour les futurs bébés cigales. Personne ne viendra s'intéresser à des broussailles, en particulier sèches et mortes, dans lesquelles j'irais inoculer mes œufs.
Mais ce n'est pas une règle générale. Certaines espèces pondent leurs œufs dans des végétaux vivants, d'autres encore pondent volontairement la tête en bas pour faire l'exception qui confirme la règle, chacune selon son espèce et son éducation. Mais toutes pondent à l'intérieur de rameaux divers.
Pour ma part, j'aimerais bien trouver des brindilles sèches, genre asphodèles, ça me rappellera mes souvenirs de bébé.
Vu d'en haut, il est relativement aisé de pouvoir juger de la quiétude d'un endroit. Après quelques allées et venues, quelques tours dans le ciel, j’en ai déjà repéré un, d’apparence paisible, où personne ne viendra me déranger. Il est situé au bord d'un chemin. Je l’ai choisi puisque les oiseaux n'y viennent pratiquement pas. Le temps d’amorcer un piqué et me voilà sur une branchette bien verticale. Celle-ci est idéale, puisque ne dépassant pas le diamètre d'un gros crayon. Immobile, tous mes sens en alerte, j'attends un petit moment – pour tâter le terrain – avant de me décider.
J'aimerais pondre si possible seule. C’est un moment trop important pour pouvoir me permettre une quelconque distraction. Si par hasard, une autre cigale étourdie venait à se poser sur ma branche, j'irais tout simplement me chercher une autre brindille, plus au calme, sans autre forme de procès.
Nous possédons, en règle générale, l'art inné de la politesse. Vous ne verrez jamais une cigale se battre pour s'approprier un endroit. Tout ce qui nous intéresse c'est de se trouver une bonne branchette, si possible bien exposée au soleil. Nous ne sommes pas belliqueuses pour un sou, et pour cause. Ce n'est certainement pas la place qui nous manque, dans les garrigues et les pinèdes de Provence pour pondre !
Ici, pas un bruit, hormis un léger souffle de vent venant de temps en temps caresser quelques feuillages. Au loin, quelques mouettes affamées font entendre leurs cris hilares que le vent emporte vers les rares bateaux mouillant encore, dans la baie turquoise de la Courtade. À part cela... quiétude et sérénité. Le moment semble vraiment propice. Rassurée, je commence à me préparer sur mon rameau.
Mais avant de déposer mes œufs à l'intérieur, encore me faudra-t-il en percer l'écorce. Ce n'est pas évident quand on est dépourvue de perceuse à percussion plaquée d'équerre comme celle de papa ou d'une simple vrille à bois...
C'est oublier que ma tarière est justement une sorte de perforateur très sophistiqué d'une dureté à toute épreuve ; du moins pour pénétrer les différentes essences de bois que l’on rencontre ici. Bien entendu, elle ne tourne pas... faut quand même pas exagérer !

Bonavi m'a raconté que dans le Vaucluse et aussi en Ardèche, on a trouvé récemment des fossiles de cigales datant de sept à trente millions d'années. Ce n'est pas tout, il parait qu'il en existait déjà, il y a de cela 265 millions d'années sur l'actuelle Russie. C'est comment dire, c'est beaucoup plus que beaucoup ! Rien qu'un seul petit million, que dis-je, mille ans me suffisent déjà à me donner le vertige !
C'est vous dire si la tarière de la cigale a eu le temps de se peaufiner au cours du temps !
Vous allez me demander : C'est quoi une tarière ?
En deux mots, c’est une sorte de double lime-scie très acérée à son extrémité et à l'intérieur de laquelle est logée une sorte d’aiguille creuse, comme une seringue. Elle est destinée à pondre ou à injecter les œufs à l'intérieur de la branchette. Cette sorte de seringue part de mon abdomen où sont stockés mes ovaires, pour finir à la fin de celui-ci. Cette aiguille – chez moi – mesure environ un bon centimètre de long et mesure à peu près un demi-millimètre de diamètre et puis... d’ailleurs... Ouh !

                                        

— Aïe !... ça tire à nouveau dans mon ventre !
Solidement cramponnée au végétal à l'aide de mes six pattes, je commence mon travail de limage et de forage. Le but : réussir à faire pénétrer ma tarière à l'intérieur du rameau. Les deux lames très dures en frottant, attaquent et incisent le bois à la manière d'une gouge. À force de le gratter, la brindille ne résiste pas longtemps et finit par céder au bout d'une dizaine de minutes environ. C'est quand même long, dix minutes de travail !
Maintenant que le trou est foré, je peux y plonger mon oviscapte ou ovipositeur – autre nom pour désigner la tarière – bien au fond de la brindille pour y injecter ma descendance, à l'image d’une infirmière faisant une piqûre dans le bras d'un patient. Très appliquée, j'inocule environ une dizaine d'œufs par trou, pas plus. Faudrait quand même pas que mes futurs bébés se sentent à l'étroit quand ils écloront !
— Ouf ! ça fait du bien. Les tensions dans mon ventre se sont légèrement relâchées.
Ma besogne terminée, je retire avec une sage précaution ma tarière, qui devra encore servir. Les filaments déchirés de la plante se refermeront d'eux-mêmes, mettant mes bébés tout frais pondus à l'abri. En effet, après le passage de mon outil, l'orifice de la brindille en est tout hirsute et semble tout décoiffé tant les lambeaux et les filaments du bois ont été mis à rude épreuve. Un mini pétard sous l'écorce de la plante, aurait produit le même effet ! Mon travail a duré en tout, une vingtaine de minutes environ.
Mais ce n'est pas fini, il faut que je ponde environ de trois cents à quatre cents œufs – comme tous mes congénères – et je viens d'en pondre une dizaine eenviron.
De toutes façons, je n'ai pas le choix, il faut que je ponde, ne serait ce que pour me libérer de ces douleurs dans mon ventre.
Ce qui est sûr, c'est que je ne suis pas prête d'avoir fini. Il me reste encore du pain sur la planche ! Aujourd'hui et même demain ne suffiront pas.
Mon oviscapte retiré précautionneusement, j’avance d'un centimètre sur la brindille dans la direction du soleil. Sans me fatiguer, je m'arrête et recommence mon opération de forage et ainsi de suite, tout au long de la journée.