Concert gratuit des cigales dans toute la Provence, tous les jours à partir de fin juin à début septembre
         
 
 
 
 


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                            L'imago (extraits)


L'imago, est la mue finale ; l'examen ultime ; le BAC ; le Certificat d'Aptitude Professionnelle à être une cigale. Imago dans le dictionnaire signifie :
« [Imago] : n.m. (mot lat., image) insecte adulte arrivé à son complet développement et apte à se reproduire ». Le mot vient du latin et veut dire « image ».
Imago : l'image parfaite, finie de ce qu'on s'imagine et désire devenir et dans mon cas : l'image adulte de la cigale. Imago ; image ; imagination ; imaginaire ; je vous laisse imaginer...
Voulez-vous en savoir plus ? prenez un scalpel et coupez le mot « imago » en deux. Il révèle toute sa saveur : « image » et « go ». Partir ; sauter de l'avion ; s'envoler dans le ciel d’azur... c'est le rêve de chaque cigale en devenir.

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... L'imago est la transformation de mon état de nymphe en vraie cigale adulte. C'est ici que va se jouer la phase ultime de ma dernière transformation : l'imago. Complètement magique ! il n'y a pas d'autre mot. Sans doute aussi impressionnante que le magicien qui sort un lapin de son chapeau, pour qui se donne la peine d'observer le spectacle.
La nymphe extérieure représente le chapeau – en quelque sorte l'emballage – et la future cigale c’est moi, le lapin caché à l'intérieur... coucou me voilà ! Bref !
Avant d’accomplir mon imago, il faut tout d'abord que je me fixe solidement sur ce barreau. Pour commencer, je plante bien fortement mes deux griffes antérieures le plus profondément possible dans la peinture, jusqu'à me faire mal, à la manière d'un serre-joint. Les ongles acérés de mes autres pattes iront eux aussi pincer ce poteau. En réalité les membres postérieurs sont moins importants pour la prise, mais si j'ai la possibilité de m'agripper avec mes six pattes au grand complet, je ne vais pas me gêner.

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... Je garde donc toujours cette puissante pression sur mes pinces et mes autres griffes. Je la maintiens longtemps ; longtemps jusqu'à ce que mes muscles s'engourdissent. Au bout d’un long moment, je sens doucement mes pattes m'échapper. Mais la pression est toujours là, tel un puissant étau. Mes pinces emprisonnées à l'intérieur, gardent quant à elles toute leur souplesse et leur douceur. Je peux à loisir relâcher entièrement l'étreinte, mes pics restent bloquées tels des mâchoires que rien ne semble pouvoir desserrer.
Ma carapace extérieure de nymphe meurt, et à l'image de tout ce qui perd vie, elle se rigidifie.
Je suis entièrement fixée et bloquée sur cette barre bleue, ma seule issue possible étant l'imago. C'est une phase dangereuse car je reste entièrement à la merci de n'importe quel prédateur. Je ne pourrai ni m'enfuir ni me défendre.
Une palpitation violente semblable au bruissement d'une usine hydroélectrique s'installe soudain dans ma tête. Mon corps tout entier se prépare pour la mue finale et je panique quand mon tube digestif s'emplit d'air. Je n’arrive plus à respirer ! Comme une vanne qu'on ouvre, je sens brutalement un flot infernal tel une spirale me monter au cerveau. Il va éclater ! Un tourbillon fou dilate tous mes vaisseaux. Subitement je grossis, gonflée par un compresseur, qui gonfle... qui gonfle... qui n’arrête pas... et ce n'est plus possible... je... je vais exploser, j'ai... j’ai mal partout.
Je vais mourir...

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... Pendant qu’un poignard me lacère l’échine, un grand bruit parcourt tout mon être. Je sens un craquement sinistre dans mon dos suivi d’une sensation de détente.
Des millions d'étoiles ruissellent dans ma tête. Ça fait un bien fou de ne plus être oppressée de la sorte. En effet, la partie supérieure de mon thorax vient de se déchirer telle une fermeture éclair, du sommet de la tête au début de mon abdomen. C’est par cette ouverture que je sortirai. Ma vieille carapace racornie se nomme l'exuvie, l’ancienne nymphe, mais sans la bête à l'intérieur... mon ancienne peau si vous préférez, d'où la nouvelle cigale toute fraîche que je suis, ne va pas tarder à sortir.
D'abord dégager mes griffes, puis mes pattes, délicatement ; l’impression de sortir de mes gants qui auraient durci dans un bac de ciment. Mon dos se fend petit à petit et je force le passage par cette fente béante. Progressivement, je quitte ma vieille peau. La bête préhistorique habillée de son armure d'airain est morte. Mes yeux apparaissent en premier. Une nouvelle créature, toute verte et palpitante, avec la lenteur majestueuse d'une reine, en sort. Brrr ! qu'il fait donc froid. Je sens le moindre mouvement d'air sur mon épiderme trop neuf, trop sensible. Les membres dégagés, le reste se démoule plus facilement et j'émerge lentement par cette large brèche. La partie supérieure de mon corps s’exhibe, suivie de mes pattes antérieures, rangées en fuseau, le long de mon corps.
Ma vue est merveilleuse. Je distingue la peinture bleue du barreau sous les rayons du soleil matinal. Elle est beaucoup plus nette, très nette même… effrontément nette.

Un doute m'envahit soudain. J'espère que mes pinces tiendront... je n'ai plus aucun accès à leurs commandes. Quoi qu’il en soit, je dois sortir d'ici. Si quelqu'un me voit, il me verra double et croira qu'il a trop bu. Je donne l’impression de m’être divisée en deux comme une poupée gigogne : ma vieille dépouille brune, cramponnée au barreau et son double, exactement identique, beaucoup plus propre et plus vivant que jamais.
Je me tortille dans tous les sens à la vitesse d'un escargot très fatigué afin de me dégager. La vieille carcasse entaille par moment mes chairs naissantes. Sensible au moindre frottement, j’avoue que ce n’est pas une partie de plaisir. J'apparais dans une teinte verte, à faire pâlir d'envie plus d'une plante exotique.
« Ça y est ! je suis presque dehors » Si je ne veux pas basculer dans le vide, il faut que je m'agrippe à mon exuvie sans plus tarder... à l'aide de mes nouvelles pinces antérieures.
Vite ! avant que je ne sois complètement sortie, je m'accroche solidement, à l'aide de mes deux pattes de devant, à la tête désormais sans vie de l'exuvie. Exuvie : vestige de mon « ex » vie.

                                        
                          Quatre exuvies sont restées accrochées sur cet arbre

Le reste de mon corps se dégage à présent, sans problème. Me voici complètement dehors, accrochée à cette dépouille morte qui marchait fébrile sur le chemin il y a une heure à peine.
Mes ailes, d'un vert intense, sont chiffonnées. Mes pulls ont la même allure quand maman les retire de la machine à laver... après l'essorage.
Elles sont toutes racornies et fripées. J’ai l'impression qu’elles ont une malformation congénitale. Je me fais réellement du souci quant à leur capacité de pouvoir voler un jour. Suspendue à mon exuvie et oscillant au moindre mouvement d'air, je les sens se dérouler lentement. Au bout d’une demi-heure, elles prennent une belle allure. Mes doutes s'envolent définitivement. Je suis fière de mes jolies ailes, bien droites qui n'attendent de moi qu’un signal pour décoller.
Mais je ne suis pas encore prête à partir. Accrochée à mon ancienne dépouille, j'attends le feu vert pour mon baptême de l’air. Je vais rester un moment ainsi sans rien faire. Vous voulez savoir ce que je fais ? Je sèche ! C’est l'exacte vérité. Je flotte comme le pull-over de la machine à laver sur sa corde à linge, fermement tenue par mes griffes... de solides pinces à linge.
Mes ailes s’allégeront et se durciront pour acquérir la rigidité nécessaire en vue du vol. Mon épiderme profitera de l'occasion pour sécher également et se raffermir au contact de l’air.
... mais je représente la proie idéale pour qui aurait un petit creux.

                                        
                                                    une exuvie... vide de cigale

En effet, durant les trois heures que va durer cette opération, impossible de faire marche arrière ou de m'envoler, tant que mes ailes ne sont pas sèches. La chair d'une cigale naissante est délicieuse, pas trop dure et pleine de jus. En outre, aucun risque qu’elle ne prenne la fuite, elle se trouve dans l’impossibilité de bouger. Il suffit d’amener ses couverts et de s'asseoir à table.

Je viens d'apercevoir une congénère, en train de faire son imago. Je ne l'ai pas vue arriver, occupée moi-même à sortir de mon étroit corset que fut mon exuvie. Je perçois aussi un bourdonnement qui se rapproche... qui se rapproche.
C'est une guêpe sans doute attirée par les odeurs de la poubelle. Elle tourne et semble chercher un passage afin de s'introduire dans le conteneur. Son vrombissement me fait frémir. J'essaie de me faire toute petite... pourvu qu'elle ne me détecte pas. Elle tourne en rond, semble chercher un passage et subitement... l'horreur !
Elle vient de découvrir l'autre cigale en train de s'extraire.